La salutation B ou la possibilité d’agir
« Tu as droit à l’action, mais seulement à l’action, [et jamais à ses fruits] ; que les fruits de tes actions ne soient point ton mobile ; [et pourtant ne permets en toi aucun attachement à l’inaction]. » 1
Utkatasana ou ma détermination
- utka [ut-ka] en sanskrit qui désire ardemment, qui espère, qui désire.
- Utkat ̄a [-ta ̄] : état de désir ardent
- utkaca [ut-kaca] : immense, gigantesque; démesuré, excessif.
- utkat: violemment, excessivement.
La première posture de la salutation B, Utkatasana nous ramène à la nécessaire détermination du cheminant. Sans son désir ardent, sans un positionnement intérieur ferme et résolu dans la recherche de la Vérité, il lui sera plus tortueux et plus risqué de s’engager dans cette voie semée d’embûches.
Lors de cette quête, s’il n’est pas ferme en lui même la tentation sera grande de se laisser divertir par des faussaires et de porter son attention sur des désirs plus lointains, plus superficiels. Ainsi, dans la Baghavad Gitta, Krishna nous répète à de nombreuses reprises de garder notre attention sur lui et seulement sur lui.
» […] ô toi qui est venu en ce monde éphémère et malheureux, aime-Moi et tourne-toi vers Moi.
Emplis ton esprit de Moi, sois Mon amant et Mon adorateur, sacrifiant à Moi, te prosternant devant Moi ; ainsi uni à Moi dans le Moi tu viendras à Moi, faisant de Moi ton but suprême. »2
Le désir pour la connaissance est d’abord un appel intérieur, une intuitive envie d’Ētre, intensément. Cette profonde aspiration présente en chacun de nous requiert cette attitude infiniment résolue que nous pouvons transposer dans Utkatasana. Lorsqu’elle est exécutée pleinement : hanches et genoux fléchis, buste relevé, bras tendus et mains jointes au dessus du visage, regard aux pouces (Angustha madhya Drishti).
Depuis cette posture, fermes et téméraires, nous plongeons alors vers les enfers en quête de nous mêmes afin d’y retrouver notre ardeur. Retrouver ce désir plus ou moins oublié. Partir à la conquête du soleil.
Virabhadrasana (la posture du guerrier) ou l’action transformatrice
Après adho mukha (chien tête en bas) vient Virabhadrasana ( la posture du guerrier).
Virabhadra est un guerrier de la mythologie indienne. Il est une émanation du Dieu Shiva. Ce dernier le fait apparaitre de sa colère d’être humilié par son beau-père (Daksa) et d’être séparé de sa bien aimée ( Shakti ) .
(cf. Mythe de Shiva / Shakti )
Virabhadra est donc la colère personnifiée de Shiva.
L’épisode de cette colère manifestée à l’encontre du roi Daksa et de sa méprise envers le dieu des Dieux est une sorte de tremplin spirituel pour l’ensemble des personnages, car, après son passage, tous comprennent leur erreur et se soumettent à sa puissance. Il marque un avant et un après.
Ainsi son apparition/action est créatrice d’une nouvelle réalité.
Lorsque dans la salutation nous faisons la posture de Virabhadra, l’ensemble de cet archétype doit être interrogé.
Sans l’expression concrète de ma volonté de vivre selon mes propres choix, il n’y pas de conversion possible. Sans la manifestation réelle de ceux-ci je subis souvent tout un tas de situations qui ne peuvent pas me contenter ou me permettre la réalisation de mes aspirations. Assumer son mécontentement et s’opposer, au risque de déplaire, telle est l’attitude héroïque de Virabhadra.
Si Shiva et Shakti s’étaient contentés de ruminer leur désarroi du haut du Mont Kailash. S’ils s’étaient résignés à subir en silence les différentes pressions venues de leurs familles, peut-être auraient-ils réussis tant bien que mal à s’aimer pour l’éternité. Mais de leur union, rien n’aurait pu émerger de véritablement transformateur. La vie n’aurait été que frustrations, désirs étouffés, contrits…
Le courage d’agir par soi même et surtout pour soi même nous vient du désir acharné de transformation. Tel l’alchimiste qui, dans son laboratoire, transforme le plomb en or nous transformons le quotidien écrasant en une vie vécue intensément et maitrisée.
» Mieux vaut [pour chacun] sa propre loi d’action, même imparfaite, que la loi d’autrui, même bien appliquée. On n’encourt pas le péché quand on agit selon la loi de sa propre nature. »3
Remarquons enfin que Virabhadrasana contient la forme d’Utkatasana avec une moitié du corps (la jambe pliée et le haut du corps) et une extension complète avec l’autre moitié du corps ( depuis la jambe arrière tendue jusqu’au pouce) telle la forme d’un arc ou d’une épée.
En d’autres termes : le désir ardent ( utkatasana ) et l’action radicale, créatrice d’une nouvelle réalité ( la posture du guerrier ) sont réunis dans la posture de Virabhadra. En effet, l’un n’allant pas sans l’autre il nous appartient d’agir férocement pour vivre la vie que nous désirons.
Qu’elles qu’en soit les conséquences.
“Si vous ne pouvez être des saints de la connaissance, soyez-en au moins les guerriers.” Friedrich Nietzsche
Notes :
- (fr) La Bhagavad-Gîtâ (trad. Camille Rao et Jean Herbert, d’après la traduction anglaise de Shrî Aurobindo), éd. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1991 (ISBN 978-
2-7200-0209-0), chap. XVIII, sect. 2 « Svabhâva et svadharma », p. 18, 47-48 - (fr) La Bhagavad-Gîtâ (trad. Camille Rao et Jean Herbert, d’après la traduction anglaise de Shrî Aurobindo), éd. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1991 (ISBN 978-
2-7200-0209-0), chap. II, sect. 2 « Le yoga de la volonté intelligente », p. 2, 47 - (fr) La Bhagavad-Gîtâ (trad. Camille Rao et Jean Herbert, d’après la traduction anglaise de Shrî Aurobindo), éd. Librairie d’Amérique et d’Orient Adrien Maisonneuve, 1991 (ISBN 978-
2-7200-0209-0), chap. IX « Les œuvres, la dévotion et la connaissance », p. 9, 33-34
Bonjour,
Tout d’abord un grand merci pour le partage de vos connaissances.
J’ai une question, savez-vous pourquoi nous respirons 5 fois pendant les postures? Y-a-t-il une symbolique associée également derrière ce chiffre? Je ne parviens pas à trouver de réponses. Je lis d’ailleurs dans le Yoga Mala » faites puraka et rechaka autant que possible » donc j’ai l’impression qu’il n’y avait au départ pas de chiffre défini.
Qu’en pensez-vous?
Merci,
Julie
Bonjour Julie,
Merci pour votre message.
Comme vous je pense que les 5 respirations ne sont pas significatives. Nous pourrions faire des pratiques avec 4 ou 6 respirations sans modifier le sens…
Ce qui me parait être essentiel dans ce rapport au compte est notre rapport au temps. C’est ce qui nous est montré ici, en substance.
Je vois deux choses :
Premièrement, se rendre compte que le découpage du temps tel que nous le vivons est une illusion, un conditionnement.
Deuxièmement, suivre consciemment le rythme d’une pratique avec tous les autres points d’attention (tels que drishtis, bandhas, souffle..) est une invitation à s’inscrire dans le présent et non dans la projection d’autre chose.
D’ailleurs, le sens de Asana est « s’établir en Soi ». Nous pourrions ajouter dans l’ici et maintenant car, quoi d’autre ?
Si vous enseignez, vous pouvez remarquer que parfois les élèves auront du mal à suivre le compte et auront parfois tendance à anticiper ou à trainer. Parfois, sur les mêmes passages ou postures. Il est alors intéressant de le remarquer. Dans nos propres pratiques également..
L’allégorie de se donner un rythme, de pouvoir suivre la cadence qui est celle là aujourd’hui c’est d’être maître de sa pensée et par conséquent de sa propre vie.
Sinon, nous suivons nos projections pensant que nous faisons preuve de liberté.
Il y aurait encore tant à dire…
Pour finir sur le chiffre 5, le « pancha » contient la quintessence. On le retrouve dans les 5 doigts de la main, les 5 sens, les 5 vrittis, les koshas, les vayous, les 5 éléments, etc…
Dans chaque groupe de 5, un élément les contient tous. Ainsi, on parle d’essence. Il est le prélude du 6, intermédiaire menant à la vision du caché. Guénon parle très clairement de cela.
Avec plaisir pour échanger,
Barbara.